Le 24 juin 2024, la place de Paris connaît un choc brutal. Le fonds activiste Muddy Waters publie un rapport explosif visant Eurofins Scientific, le champion français des bioanalyses. En quelques heures, la valeur boursière de ce groupe coté au CAC 40 s’effondre. Le marché, surpris par la virulence de l’attaque, sanctionne lourdement un acteur qui incarne pourtant l’innovation scientifique européenne. Cette affaire illustre aussi la capacité de résilience des entreprises françaises face aux vendeurs à découvert américains et sur le rôle central de la communication de crise.

Créée en 1987 à Nantes, Eurofins Scientific occupe une position stratégique dans les analyses biologiques, alimentaires, pharmaceutiques et environnementales. Avec plus de 62 000 salariés répartis sur cinq continents, elle s’impose comme un acteur incontournable dans la sécurité sanitaire et la recherche. Sa capitalisation boursière, avant l’attaque, dépasse 12 milliards d’euros et sa réputation repose sur sa rigueur scientifique et un modèle d’acquisitions successives qui a transformé une PME en multinationale cotée.

Face à elle, Muddy Waters n’est pas un simple investisseur spéculatif. Le fonds, dirigé par Carson Block, s’est forgé une notoriété mondiale en dénonçant des pratiques douteuses de sociétés cotées. Ses campagnes, souvent relayées par la presse, provoquent des chutes spectaculaires de cours. Ses détracteurs le considèrent comme un prédateur profitant de la panique, mais ses partisans saluent son rôle de vigie. L’ombre de ce fonds plane désormais sur Eurofins, pris dans la spirale de la défiance.

Le fonds Muddy Waters vend à découvert le français Eurofins

Le 24 juin 2024, Muddy Waters publie un rapport de 36 pages, analysant en profondeur les comptes du groupe et son modèle de croissance. Les accusations principales portent sur trois axes.

D’abord, le niveau d’endettement du groupe, jugé excessif pour une société de services scientifiques. Le rapport avance que certaines acquisitions ont été financées par des emprunts à court terme, créant un risque de liquidité à moyen terme.

Ensuite, l’opacité de certaines transactions immobilières retient l’attention. Muddy Waters affirme que des biens ont été transférés à des sociétés liées, parfois sous-évalués, et que ces opérations n’auraient pas été correctement détaillées dans les comptes annuels.

Enfin, le fonds évoque des pratiques comptables « agressives » : reclassements de trésorerie et traitements atypiques des provisions qui, selon lui, embellissent artificiellement le bilan. Dans son communiqué, Muddy Waters précise :

« Les flux de trésorerie affichés ne reflètent pas la réalité économique du groupe. Nous estimons que le risque d’insolvabilité à court terme est sous-estimé par la direction. »

Le marché réagit instantanément.

Suspendue vers 9 h 30 à la Bourse de Paris, l’action a plongé de 25 % en fin de matinée pour toucher un point bas, à 39,47 euros. Elle a terminé la séance en recul de 16,15 %. Sa capitalisation boursière s’est effondrée de près de 2,5 milliards d’euros dans la journée.

L’ouverture à Paris se traduit par une suspension de la cotation du titre puis par une chute brutale de 25% en fin de matinée pour atteindre 39,47 euros, effaçant près de 2,5 milliard d’euros de capitalisation boursière. Les volumes échangés explosent, signe que la peur domine l’action. Les analystes, surpris par la virulence des accusations, émettent des recommandations prudentes, renforçant la pression. Les investisseurs institutionnels, habitués à évaluer le risque avec rigueur, surveillent de près les communiqués du groupe. En fin de journée, le titre ne perd plus que 16%.

Le lendemain, l’action tente de rebondir à 46,3 €, mais le doute persiste. Les courtiers signalent une forte volatilité et un désaccord marqué entre les traders optimistes et les vendeurs à découvert. La stratégie de Muddy Waters fonctionne : installer une incertitude durable et exploiter les mouvements rapides du marché. Les médias spécialisés relaient le rapport, amplifiant l’effet psychologique sur les investisseurs.

Les analystes soulignent également le contexte particulier d’Eurofins. Sa croissance rapide par acquisitions et sa présence mondiale compliquent la compréhension du modèle financier. Muddy Waters capitalise sur cette complexité, estime que le contrôle interne est insuffisant pour un groupe de cette taille et que le pouvoir concentré autour du fondateur expose les actionnaires à des risques non négligeables.

L’attaque met à l’épreuve sa gouvernance, son contrôle interne et sa capacité à communiquer efficacement.

Eurofins se défend des accusations

Le lendemain, le 25 juin 2024, Eurofins riposte avec fermeté contre l’attaque de Muddy Waters. Gilles Martin, directeur général et principal actionnaire, publie un communiqué clair :

« Ce rapport est trompeur et contient de nombreuses inexactitudes. Nos comptes respectent strictement les normes IFRS et reflètent fidèlement la réalité économique du groupe. »

Dans sa stratégie, Eurofins refuse de céder à la pression médiatique et se concentre sur les faits.

muddy waters vend à découvert eurofinsL’entreprise prend des mesures concrètes. Elle mandate Deloitte et Ernst & Young Paris pour auditer ses comptes, couvrant à la fois les transactions financières et les opérations immobilières. Ces audits s’inscrivent dans une stratégie de preuve par l’action. Les dirigeants choisissent de communiquer les noms des cabinets indépendants pour montrer la crédibilité et la rigueur de la démarche. Le marché perçoit cette décision comme un signal fort : l’entreprise ne se contente pas de paroles, elle met en œuvre des contrôles externes.

Simultanément, Eurofins publie une série de communiqués détaillant ses flux financiers. Chaque trimestre, les investisseurs reçoivent des informations précises sur les acquisitions, les cash-flows et les marges opérationnelles. L’entreprise met également en avant l’importance de son rôle dans des secteurs critiques comme la santé, l’alimentation et l’environnement. Elle insiste sur le fait que ses laboratoires continuent de fonctionner normalement, ses clients restent fidèles et aucun retard de production n’est constaté.

Le cours de l’action reflète ces efforts. Après la chute initiale à 52,7 € le 24 juin, l’action se stabilise autour de 47 € fin juin. Cette stabilisation démontre que le marché commence à prendre en compte les mesures de défense et la communication structurée d’Eurofins. Les investisseurs commencent à différencier les accusations, souvent sensationnalistes, de la réalité opérationnelle du groupe.

Eurofins adopte également une approche pédagogique. Elle explique le fonctionnement de son modèle basé sur des acquisitions multiples et sur l’innovation dans les analyses biologiques. L’entreprise souligne que la complexité ne signifie pas opacité. Chaque transaction suit une procédure de validation interne et fait l’objet d’un contrôle externe par les auditeurs. Cette communication vise à rassurer les investisseurs institutionnels et les analystes qui scrutent chaque mouvement du cours de l’action.

Enfin, Eurofins choisit de ne pas répondre point par point à toutes les affirmations de Muddy Waters, mais de concentrer ses efforts sur les faits vérifiables et les preuves auditées. Cette décision stratégique limite l’effet médiatique de l’attaque et montre que le groupe maîtrise son image et sa communication financière. La confiance des investisseurs commence ainsi à se reconstruire, lentement mais sûrement, autour d’éléments tangibles et non d’opinions ou d’analyses spéculatives.

Le fonds activiste réplique

Fin juin 2024, Muddy Waters ne reste pas silencieux face à la riposte d’Eurofins. Le fonds publie un nouveau communiqué pour maintenir la pression :

« Les réponses d’Eurofins ne dissipent pas toutes nos inquiétudes. La complexité de ses acquisitions et la concentration du pouvoir entre les mains de la direction restent des risques majeurs. »

Cette déclaration vise à rappeler aux investisseurs que la situation n’est pas entièrement clarifiée et que la vigilance reste de mise.

Muddy Waters adopte une stratégie classique de fonds activiste : il met l’accent sur la perception du risque et la peur de l’opacité. Il souligne le nombre élevé d’acquisitions, parfois réalisées rapidement, et les transactions immobilières jugées complexes, insinuant qu’une gouvernance plus indépendante serait nécessaire. Cette communication ciblée relance l’incertitude sur le marché.

L’action Eurofins, déjà stabilisée autour de 47 € après la première réaction de l’entreprise, oscille désormais entre 45 et 50 € au cours des jours suivants. Les volumes échangés augmentent fortement, traduisant un marché partagé entre prudence et opportunisme. Certains investisseurs vendent par crainte de nouvelles révélations, tandis que d’autres achètent en anticipant un rebond si les audits confirment la solidité de l’entreprise.

Face à cette relance, Eurofins choisit de ne pas entrer dans une confrontation de communiqués. Le groupe continue à privilégier les faits et les preuves auditées. Il annonce l’arrivée d’administrateurs indépendants au conseil, renforçant la crédibilité de sa gouvernance. L’entreprise publie également des précisions sur les flux financiers, détaillant les acquisitions et les transactions immobilières de manière transparente. Cette approche met l’accent sur la preuve par l’action, plutôt que sur le débat public.

La réaction du marché est révélatrice. Les investisseurs commencent à distinguer le bruit médiatique de la réalité économique. Le titre fluctue mais montre des signes de stabilisation autour de 48 €, signe que la stratégie de discipline d’Eurofins commence à porter ses fruits.

eurofins cours en bourseMuddy Waters poursuit sa tactique de communication ciblée, mais Eurofins gagne du temps pour montrer que ses comptes sont fiables et que sa croissance repose sur des bases solides. Cette étape de l’affrontement met en lumière un principe fondamental : sur les marchés financiers, la perception peut créer la volatilité, mais les preuves concrètes finissent par la dissiper.

L’action Eurofins remonte en bourse

À partir de juillet 2024, le marché commence à percevoir les effets des mesures prises par Eurofins. Les investisseurs observent les résultats des audits et constatent que l’entreprise reste pleinement opérationnelle. Le 24 juillet 2024, Hugues Vaussy, secrétaire général d’Eurofins Scientific, donne sa première interview depuis l’attaque de Muddy Waters à BFM Business. L’action regagne progressivement du terrain dépassant les 55 € en septembre. La dynamique positive s’explique par la constance du groupe dans ses opérations et par l’absence de nouvelles révélations compromettantes.

Les premiers rapports des auditeurs indépendants confirment l’exactitude des comptes. La communication d’Eurofins met en avant ces conclusions pour restaurer la confiance : « Nos comptes sont vérifiés par des auditeurs reconnus et reflètent fidèlement la réalité économique du groupe. » Les marchés intègrent ces informations et le titre poursuit sa progression. Le cours devient le miroir des perceptions des investisseurs : plus l’entreprise démontre sa solidité et sa transparence, plus la confiance renaît.

En quelques mois, la volatilité initiale diminue. L’action retrouve une dynamique ascendante, échappant à la spirale négative provoquée par l’attaque de Muddy Waters. Le redressement du cours est un indicateur direct de l’efficacité des mesures prises, tant sur le plan financier que sur la communication stratégique. Les investisseurs commencent à apprécier la capacité du groupe à gérer la crise sans compromettre ses opérations.

La stratégie payante d’Eurofins

À l’automne 2024, les audits indépendants, notamment celui d’Ernst & Young Paris, confirment que la comptabilité ne présente pas d’irrégularité significative. Seules deux anomalies mineures, pour un total de 1,2 million d’euros, sont corrigées rapidement. Le marché accueille ces nouvelles avec soulagement. L’action, qui oscillait autour de 48 € pendant l’été, reprend sa progression. Fin 2024, le titre dépasse les 49 €, marquant la sortie de crise.

En 2025, le mouvement s’accélère. En juillet, l’action franchit 67 €. En août, elle évolue entre 61 € et 69,4 €, atteignant 68,8 € le 20 août. La montée spectaculaire du cours illustre la confiance retrouvée des investisseurs et la solidité des décisions stratégiques d’Eurofins. Le groupe transforme une attaque frontale en démonstration de résilience. Les dirigeants peuvent tirer des enseignements précieux : la préparation aux critiques, la transparence comptable, la communication cohérente et la rigueur de gouvernance restent les clés pour résister à la pression des vendeurs à découvert.

L’affaire devient un cas d’école. Chaque variation du cours de l’action, de 46 € en juin 2024 à près de 69 € en août 2025, reflète le jugement du marché sur les mesures concrètes mises en œuvre par l’entreprise. La bataille entre Muddy Waters et Eurofins démontre que la force d’une société réside autant dans sa solidité opérationnelle que dans sa capacité à convaincre les investisseurs de sa transparence et de sa gouvernance.

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