Ainsi, cette décision met en lumière un enjeu essentiel pour les entreprises engagées dans une croissance externe : comment répartir la responsabilité entre le conseil et le client lorsque l’audit d’acquisition s’effectue sous contrainte de temps. En effet, l’arrêt invite les dirigeants à mesurer les risques liés à une renonciation implicite ou expresse aux vérifications approfondies, et à ne pas considérer la due diligence comme une garantie automatique.
Une due diligence expresse
Au cœur du litige se trouve la stratégie de développement de la société MDSAP, acteur reconnu dans les services à la personne. En 2015, sa direction décide d’élargir son périmètre d’activité en procédant au rachat de la société Coviva, spécialisée dans le maintien à domicile de personnes âgées et handicapées. Pour conduire cette opération, MDSAP s’entoure de la société Capival, cabinet de conseil en valorisation et en opérations de haut de bilan, afin de bénéficier d’une expertise technique et financière.
Dès la signature de la lettre de mission du 19 octobre 2015, Capival s’engage à accompagner MDSAP tout au long du processus d’acquisition. Sa mission inclut la valorisation de la cible, l’étude d’opportunité, la préparation de la documentation juridique et la participation aux négociations. Le texte de la mission mentionne également des “travaux de due diligence” portant sur la rentabilité effective de la société Coviva et la conformité des éléments comptables servant à déterminer le prix. Sur le papier, la répartition des tâches semble claire.
Cependant, la réalité des négociations va se heurter à l’urgence de conclure. MDSAP souhaite aller vite, consciente que d’autres acheteurs potentiels se positionnent. Les échanges produits devant la Cour d’appel révèlent une forte pression temporelle. Dans un courriel du 15 octobre 2015, la société évoque une « fenêtre de tir très courte » et annonce vouloir finaliser la transaction avant la fin de l’année. Cette précipitation réduit la marge d’analyse financière et reconfigure le rôle du conseil.
Pour autant, MDSAP a déjà mené, deux ans plus tôt, une due diligence approfondie lors d’une précédente tentative d’acquisition du même groupe. Cette circonstance renforce sa conviction de bien connaître la cible et explique partiellement sa décision de ne pas diligenter un nouvel audit externe. Ce choix, stratégique mais risqué, deviendra le cœur du différend.
La responsabilité du conseil mise en cause
Après la cession intervenue le 2 février 2016, des irrégularités comptables apparaissent au sein de Coviva. MDSAP et sa filiale Ether, désormais détentrices des titres, découvrent des éléments financiers qu’elles estiment contraires aux informations communiquées lors des négociations. Elles reprochent alors à Capival d’avoir manqué à son obligation de conseil, de vigilance et d’alerte. Selon elles, le cabinet aurait dû signaler les anomalies susceptibles d’affecter la rentabilité de la société cible et aurait dû insister pour qu’un audit d’acquisition complet soit réalisé avant la signature définitive.
Les deux sociétés sollicitent donc la condamnation de Capival pour faute contractuelle et délictuelle. Elles estiment avoir perdu une chance d’acquérir Coviva à un prix plus bas et réclament l’indemnisation des honoraires de conseil, ainsi que des frais engagés dans la procédure ultérieure. Leur argumentation repose sur la lettre de mission, qu’elles interprètent comme conférant à Capival la responsabilité d’un contrôle approfondi des données comptables et financières.
En défense, Capival soutient une lecture beaucoup plus stricte du contrat. Le cabinet affirme que sa mission ne comprenait aucun audit comptable complet et qu’il n’avait ni l’obligation ni les moyens de vérifier l’authenticité des documents transmis. Selon lui, MDSAP a sciemment choisi la rapidité au détriment de l’exhaustivité des vérifications, tout en disposant déjà d’une connaissance détaillée de la société cible. Capival souligne également que les anomalies découvertes ultérieurement provenaient de manœuvres frauduleuses commises par les cédants eux-mêmes, donc extérieures à son champ d’intervention.
Ainsi, le débat se concentre sur la frontière entre le devoir de conseil et la due diligence technique, entre la responsabilité du professionnel et l’autonomie de décision du dirigeant.
Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 18 septembre 2025
La Cour d’appel de Paris examine minutieusement les échanges, contrats et courriels produits par les parties. Elle rappelle d’abord le principe selon lequel les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Le contenu de la lettre de mission constitue donc la référence première pour apprécier la portée des obligations de Capival.
Les juges constatent que la mission confiée au conseil se limitait à une analyse de rentabilité et à une assistance dans la négociation, sans mention d’un audit comptable exhaustif. Ils observent également que MDSAP, parfaitement informée de la situation, a expressément décidé d’accélérer le processus d’acquisition en renonçant à une nouvelle vérification financière. Les échanges de courriels montrent que Capival, loin d’interdire un audit, avait au contraire proposé de solliciter à nouveau le cabinet Blue Cell Consulting, déjà intervenu en 2013. MDSAP avait alors répondu favorablement, sans toutefois donner suite à cette initiative.
En outre, la Cour relève qu’aucun élément du dossier ne prouve que les irrégularités ultérieurement constatées auraient pu être détectées à partir des documents transmis. L’expert-comptable de MDSAP, impliqué dans la préparation du business plan, n’a d’ailleurs jamais alerté sur une incohérence manifeste. Par conséquent, les juges estiment que Capival n’a commis aucune faute ni dans l’exécution de sa mission, ni dans son devoir de conseil.
Le raisonnement de la Cour s’inscrit dans une ligne constante de la jurisprudence : la responsabilité d’un conseil ne peut être engagée que si la faute est démontrée de manière certaine, en lien direct avec le préjudice allégué. En l’espèce, la précipitation de MDSAP, combinée à sa renonciation implicite à une due diligence complète, exclut toute faute imputable au prestataire. Le tribunal de commerce avait déjà adopté cette position en 2022, et la Cour d’appel, dans son arrêt du 18 septembre 2025 (RG n° 22/08192), la confirme intégralement, condamnant MDSAP et Ether à supporter les dépens et à verser 5 000 euros à Capival au titre des frais irrépétibles.
Cette motivation, particulièrement détaillée, renforce l’exigence de rigueur contractuelle dans les relations entre entreprises et conseils. Elle rappelle que la confiance ne saurait se substituer à la précision écrite.
La responsabilité du décideur après la due diligence
Au-delà du contentieux, cet arrêt porte un message clair à destination des dirigeants et des responsables d’acquisition. Il démontre que la due diligence ne constitue pas un réflexe automatique mais un choix stratégique qui engage la responsabilité du décideur. Lorsqu’une société choisit de privilégier la rapidité pour saisir une opportunité, elle assume les risques liés à la réduction du champ d’analyse. La Cour d’appel de Paris souligne ici que l’urgence ne justifie pas la négligence et que le conseil ne saurait porter seul la charge d’une décision prise en connaissance de cause.
Dès lors, tout dirigeant doit veiller à définir avec précision le périmètre de la mission confiée à ses partenaires, qu’il s’agisse d’un cabinet de conseil, d’un auditeur financier ou d’un avocat d’affaires. Cette clarté contractuelle protège non seulement les intérêts de l’entreprise, mais elle garantit aussi la traçabilité des choix stratégiques effectués au cours d’une opération d’acquisition. Plus la mission est détaillée, plus la responsabilité peut être appréciée équitablement.
De plus, cet arrêt incite les entreprises à documenter chaque étape du processus de décision. En effet, les courriels, rapports et lettres de mission constituent les premières preuves analysées par les juges en cas de litige. Leur précision reflète la diligence du dirigeant et sa capacité à évaluer les risques associés à l’opération. Ainsi, la gouvernance d’entreprise se renforce lorsqu’elle s’appuie sur des procédures écrites, révisées et validées par plusieurs intervenants.
Enfin, cette affaire illustre l’importance d’une culture de la due diligence dans l’entreprise. Au-delà du contrôle comptable, la due diligence représente une méthode d’analyse globale qui éclaire la stratégie de croissance et oriente les choix de financement. Le dirigeant avisé ne la considère pas comme une formalité, mais comme un outil de décision et de prévention des risques juridiques. En s’assurant de la cohérence des missions, de la qualité des informations et du respect des délais, il consolide la valeur de son entreprise tout en limitant les contentieux futurs.
L’arrêt du 18 septembre 2025 s’impose donc comme une référence utile pour les acteurs du capital-investissement, les sociétés de conseil et les dirigeants engagés dans des opérations de fusion-acquisition. Il réaffirme que la sécurité juridique repose sur la lucidité des parties, la précision contractuelle et la maîtrise du calendrier. Le juge ne sanctionne pas la prise de risque économique, mais seulement la faute avérée et démontrée.